samedi 9 novembre 2013

Prose : Doctor Hine - Révolution


DOCTOR HINE

Révolution

par Maxime Saint Michel

Révolution

Chapitre 1Azéline
Paris, mai 1903.

La France. Un pays extrêmement étrange, rempli de gens chantant et sifflant leur bonheur à la face du monde pour oublier une passivité scientifique menant à une technologie véritablement archaïque, au moins par rapport à celle de l’Empire-Uni. Telles étaient les premières observations de l’homme au chapeau melon qui parcourait les ruelles de la ville depuis à peine une dizaine de minutes. Les immeubles déstructurés, les vélos et cet horrible monument visant le ciel n’étaient rien de plus qu’une preuve illustrant ses condamnations.

Mais le Docteur, grand amoureux des sciences et des raisonnements logiques se devait de remettre en cause son objectivité : il errait dans ce pays qui n’était pas le sien depuis des mois et avait toujours repoussé l’échéance, s’étant promis de ne jamais aller à Paris. D’ailleurs il avait horreur de tous les flonflons, de la valse musette et de l’accordéon. Mais sa présence ici était plus que sanitaire. L’Empire avait fait de lui tout ce qu’il ne voulait pas être : un héros, connu et apprécié de toute une population. Ainsi, même l’une des capitales qu’il détestait le plus lui semblait être un véritable sanctuaire. Au moins, il pouvait agir clandestinement, caché, complètement anonyme…

« Docteur Hine ? »

L’homme se retourna instinctivement, pour observer d’où venait cette voix affreusement aigue qui connaissait son nom, déjà la main dans la poche droite de sa veste, prêt à sortir son arme de destruction massive – réflexe qu’il tenait de la guerre des Boers et qui s’activait en cas de stress. Ses yeux restèrent bloqués une seconde sur des bottes de cuir avant qu’il ne relève la tête pour observer ce qui semblait être une femme. Il cherchait une réponse acerbe mais était incapable de prononcer le moindre mot. 

« Je suppose que oui. fit cette femme, un sourire mesquin aux lèvres, tout en caressant ses longs cheveux noirs.
- Vous devez vous tromper mademoiselle. Je m’appelle Jeffrey Rosembatch et je ne vais jamais chez le docteur. »

Haineux, Hine tourna les talons et continua sa route. C’était improbable et pourtant possible : ses exploits contre les Liktalzzz avaient traversé la Manche, en même temps que lui, prenant sans doute le bateau à vapeur, comme tout le monde. Les mains dans les poches, la tête vers le bas, les yeux protégés par son chapeau pour éviter que quelqu’un d’autre ne le repère, il essayait désespérément de trouver une ruelle où fuir, un semblant de pub où il pourrait se cacher. Il était même prêt à boire une tasse de thé. Mais il stoppa net sa marche quand un couteau vint se planter au sol, à quelques mètres de lui.

« Ne vous moquez pas de moi, Docteur. Nous savons qui vous êtes.
- Et Vous êtes définitivement obstinée. Vous voulez quoi ? Un entretien afin de déterminer pourquoi un chevalier en puissance a quitté son pays pour le votre ? »

Sur ces mots, Matthew ramassa le couteau et le relança en arrière, au hasard, sans faire un seul mouvement de tête. Les réponses à l’entretien, s’il avait lieu seraient concises : il n’avait aucune envie d’être élevé au rang de justicier, sauveur de l’Empire-Uni et sans doute du reste du monde. De plus s’il n’était pas parti, il serait sans doute devenu une arme au service de sa Majesté, ou pire : il en aurait passé son temps à en fabriquer. Pourtant, il n’aimait pas raconter des histoires courtes, et il aurait sans doute expliqué qu’Edouard VII malgré ses envies novatrices, ne pourrait apporter aucun changement à l’Empire-Uni, apparemment infaillible mais recouvert par un voile sombre, cachant les véritables problèmes. Cela étant, dans tous les cas, il n’y aurait pas d’entretien. 

« Je ne veux pas faire de vous un élément de communication, Docteur.
- Vous me suivez encore ? Mais vous êtes folle ? 
- J’ai besoin de votre aide. »

La Femme l’avait donc rattrapé. De ses yeux bruns coulaient des larmes, recouvrant son visage. Ce n’était pas de telles émotions qui allaient sensibiliser Hine. Il n’avait que faire des pleurs de jeunes filles. Mais ce courage tendant vers la témérité, à la limite de l’absurde le fascinait. Le Docteur poussa un léger soupire et se força à sourire. Il était prêt à écouter cette inconnue, à lui laisser une chance de plaider sa cause. D’un geste un peu inhabituel, il posa sa main sur son épaule, pensant que c’était ça qu’il fallait faire dans ce genre de situation, selon certaines coutumes sociales.

« Commencez par me dire votre nom.
- Azéline. » 


Chapitre 2
Azéline avançait dans les ruelles parisiennes, suivie de près par un Matthew Hine plus que sceptique. L’impression d’être en train de « foncer dans la gueule du loup » le parcourait sans qu’il ne puisse s’en défaire. Accepter de suivre une inconnue juste parce qu’elle était plus courageuse que la plupart de ses semblables était clairement une erreur, un acte stupide qu’il n’était pas censé commettre. D’ailleurs, avant ce qui s’était passé en début d’année, il n’aurait jamais fait quelque chose d’aussi illogique. Alors, c’était Charlie qui l’avait changé ? Du point de vue de ce dernier c’était le Docteur l’être inférieur mais suffisamment courageux pour qu’il fasse équipe avec lui. Mais rejeter la faute sur Foster et les Liktalzzz était beaucoup trop simple. Les évènements de janvier ne l’avaient pas changé, ne l’avaient pas rendu meilleur ou pire. Ils avaient juste réveillé sa nature profonde, celle d’un homme à part, un sociopathe préférant les faits aux sentiments, repli d’une curiosité sans limite, ne vivant que pour observer les progrès et les dérives de la science à travers le monde et peut-être un jour à travers l’univers ou même le multivers décrit par Charlie. Finalement c’était ça qui l’avait poussé à se joindre à cette femme : la curiosité, la nécessité de toujours en savoir plus. Pourtant, elle ne lui avait rien dit. Il y avait quelque chose d’autre. Quelque chose que lui-même était incapable d’expliquer sur sa propre pensée, quelque…

« On est presque arrivés. Désolée de ne pas avoir été très bavarde sur la route mais il ne fallait pas qu’on se fasse repérer. »

Prisonnier de ses propres pensées, le Docteur se contenta d’hocher la tête sans donner une quelconque réponse et se demanda depuis combien de temps il n’avait pas eu de conversation de plus de deux phrases avec une personne du sexe opposé au sien avant de réaliser que la dernière femme avec qui il avait véritablement discuté était morte. Peu de temps après lui avoir parlé d’ailleurs, mais  ça n’avait aucun lien, elle était juste vieille et malade. Même si Hine aimait imaginer  qu’il était la cause et l’effet de tout ce qui se passait dans le monde – dans une certaine mesure car l’omnipotence lui faisait peur, en plus s’il la possédait il ne serait même pas capable de croire en lui.

Enfin ils étaient arrivés à destination, du moins à en juger le pas ralentissant d’Azéline, qui s’arrêtait devant des…catacombes ?

« Vous allez m’amenez à une guilde qui va sacrifier mon corps ?
- C’est presque ça. »

Le Docteur se força à sourire et retira net toute émotion de son visage quand la jeune fille lui fit signe de passer devant. Avalant sa salive, ne pouvant s’empêcher de pousser un « gloups » d’effroi. Il lui aurait bien dit que si l’Empire-Uni perdait son meilleur soldat, les représailles envers la France seraient rudes et rapides mais d’une part il n’était pas soldat et d’autre part elle devait s’en douter. Haut les cœurs, il descendit de longs escaliers sombres, marche après marche, prenant le temps d’admirer différentes gravures représentant des mythes européens sur des parois éclairées par une torche tenue par sa compagne de fortune. L’une d’entre elle représentait un…un…un…Liktalzzz ?!

« Saint-Michel, exécutant le dragon, c’est une métaphore  de mes exploits ?
- Vous n’avez rien d’un ange, Docteur.
- Mais tout d’un archange. »

Hine resta muet, subjugué par la beauté du corps qui abritait cette troisième voix à l’accent français, venue se mêler à la conversation. Des longs cheveux blonds : c’était le seul élément qu’il pouvait décrire de façon précise. Etrangement en contraste avec cet endroit, cette femme se rapprocha des deux héros descendant la dernière marche, dévoilant une tenue…royale, qui empêcha Matthew de distinguer toutes ces autres femmes qui l’observaient, méfiantes. 

« Enchantée, Docteur. Je suis Louise IV, reine de France. »

Tout en la saluant, Matt réfléchissait aux conditions actuelles de la France, car voir un monarque féminin n’était pas une habitude ici – une autre ineptie qui avait ouvert la voie de l’archaïsme selon lui. Mais il connaissait suffisamment de choses sur les ennemis potentiels de l’Empire et sur les ennemis de ces ennemis pour savoir que c’était la Révolution Corse du début du siècle dernier qui avait amené ce changement. Les forces de la famille Bonaparte et leurs alliés avaient mis à feu et à sang le Royaume de France et de Navarre avant de tuer celui qui serait connu comme le Dernier Roi de France, bouleversant à jamais la monarchie absolue et donnant son indépendance à cette île où les Français parlaient italien. Bien sûr les détails lui paraissaient obscurs mais il n’avait pas appris tout ça dans des livres, il avait juste discuté avec des soldats d’autres armées, car des vestiges de ces  changements étaient encore présents partout.  Mais en l’occurrence ce n’était pas le plus important.

« De mon point de vue, tout ça ressemble plus à la légendaire Cour des Miracles qu’à un palais royal. »

Chapitre 3 
Le Docteur Matthew Jeffrey Hine avançait dans les plus profonds, les plus sombres, les plus lugubres bas-fonds Parisiens, seul. Ou du moins, il aurait préféré l’être, car tout ça n’était qu’apparence. En réalité, il était suivi par une armée de femmes, dangereusement surarmées, tapies dans l’ombre, chassant avec lui la Créature qui les terrorisait, qui les avait poussées à se replier dans les sous-sols. Il ne comprenait pas bien en quoi sa présence allait les aider et se doutait qu’elles en avaient après son arme, – même si le formuler de la sorte lui semblait étrange – mais encore une fois c’était la curiosité qui l’emportait sur sa logique. Ah, si seulement il avait une Force supérieure vers laquelle se tourner quand les émotions l’emportaient sur son esprit, il n’en serait pas là, à s’enfoncer dans l’un des pires endroits de l’Europe, suivi par un rassemblement lui évoquant le terrible mythe des Amazones. D’ailleurs, l’une d’entre elles s’était rapprochée de lui et lui souriait.

« Dites-moi Azéline, d’où vient cette organisation ?
- La Direction de la Surveillance du Royaume ?
- Appelez-la comme vous voulez.
- Une idée de Louise I. Des femmes surveillant l’intérieur de la France. Nos…attributs permettent des manipulations plus faciles.
- Vous me manipulez ?
- Non, mais nous sommes la seule défense face à la Créature.
- Et pourquoi, moi ?
- Votre expérience. Quand tout ça sera terminé vous pourrez partir, sans que votre nom ne soit mentionné dans nos rapports. »

Hine espérait bien que son nom ne serait pas mentionné. Une fois cette affaire résolue – s’il la résolvait – il avait intérêt à se faire oublier, quitte à changer de chapeau ou de veste, ce genre de détails sur lesquels pourraient s’appuyer des journalistes et des écrivains plus ou moins excentriques pour faire de lui une icône, infaillible, ayant toujours raison – mais ce n’est pas ce qu’il était. En effet, l’homme était loin d’être un exemple et il était encore moins un chasseur de monstres, contrairement à ce que les gens qui l’entouraient semblaient croire.

Continuant d’avancer, Matthew se mit à frissonner en entendant des grognements qui raisonnaient dans toute la ville, faisant trembler les murs des immeubles, faisant sortir des habitants dans la rue pour voir ce qui se passait. Le Docteur comprit aussitôt que définitivement….

« Vous n’avez pas besoin d’un détective consultant, n’est-ce pas ? »

Azéline ne répondit pas. Elle-même savait que la question de son « compagnon » était purement rhétorique et n’avait pas envie d’affronter ses reproches, sa haine. Même si elle était tout à fait consciente que c’était inéluctable.

Le groupe se rapprochait de l’origine des  bruits stridents et Matt observait  Azéline, incapable de détourner le regard, conscient maintenant qu’il avait saisi qu’il n’était là que pour servir de machine de guerre, qu’il pouvait partir et laisser ces dames seules, les abandonnant à leur triste sort. Il ne leur devait rien, il était un britannique, un des docteurs les plus renommés de l’Empire-Uni. Alors pourquoi restait-il ici ?

Il n’allait pas avoir le temps de répondre à cette question et y chercherait une réponse s’il survivait. En attendant une autre question lui venait à l’esprit : quelle était cette chose qui venait de passer à travers la fenêtre d’une habitation, couverte de poils, haletante, gémissante et se rapprochant dangereusement de Hine.

« Le Chien des Baskerville ?
- Non, Docteur. C’est la Bête du Gévaudan. »


Chapitre 4
Ca y est. Il était trop tard pour reculer. Hine faisait face à un être évoqué dans de nombreux faits divers et de nombreuses légendes. Apparu peu de temps avant la Révolution Corse, cette chose aurait aidé les forces de Bonaparte à raser les villes et les villages, à abattre les tours et les châteaux, à décapiter les nobles seigneurs et ducs. Beaucoup de rumeurs circulaient au sujet de cette créature, et le Docteur n’avait jamais cru à l’idée d’un animal domestiqué, mais encore moins à l’idée d’un psychopathe, étant donné l’ampleur à la fois géographique et temporelle de ses actions. C’était donc cette chose qui avait poussé la Reine et sa cour à se réfugier dans les sous-sols de Paris ? Bien, il allait au moins avoir quelque chose à étudier. Commençant par une approche en douceur de la créature, il essaya de…sympathiser :

« Alors, George. Je peux t’appeler George ? J’ai toujours pensé appeler mon chien George, si j’avais un chien. Mais encore aurait-il fallu que j’apprécie les animaux pour en avoir un. Cela dit, tu es loin d’être un chien n’est-ce pas ? Qu’es-tu réellement ? Un loup-garou ? Un canadien ? »

Comme pour répondre, la créature se rapprocha lentement de Matthew, qui tremblait à la fois de peur et d’excitation. Il était peut-être sur le point de faire la plus grande découverte de l’Histoire de l’humanité, et cette fois il pourrait l’exploiter, pas comme avec les Liktalzzz. Finalement, cette collaboration avec les services français avait des chances de s’avérer fructueuse, et il pourrait être amené à la renouveler, si la construction du tunnel sous-marin reliant son pays avec celui-ci ne prenait pas trop de temps.
A moins que…

Le loup s’écroula au sol. Il saignait. Il venait de recevoir une rafale de balles dans toutes les parties de son corps. La haine envahit soudainement Hine qui avait perdu foi en ses nouveaux compagnons aussi rapidement que cette confiance lui était venue. Machinalement son bras droit se leva et l’effort pour le retenir fut surhumain à quelques centimètres du visage d’Azéline. Il aurait dû se douter qu’il s’était fait de faux espoirs, qu’il était différent et qu’aucune de ces femmes ne pouvait le comprendre. Ce n’était que des soldats. Les mêmes que ceux avec qui il avait perpétré un génocide pendant la Guerre des Boers, les mêmes que ceux qui transformeront l’humanité en monstre, comme dans les romans d’H.G Wells – un jour ces femmes seront pires que des Liktalzzz et la solution qui semblait la plus logique était de les tuer maintenant.

« Je vous faisais confiance. lâcha-t-il, d’une voix pleine de rage à la fille qui était à ses côtés. 
- Il n’est pas mort. C’est pour ça que nous avions besoin de vous. 
- Ne comptez-pas sur moi. Ne comptez plus jamais sur moi. »

Matt avait senti du désespoir dans la voix de ce qui aurait pu être son amie mais il n’en avait que faire. Son propre chagrin venait prendre la place de la colère alors qu’il s’approchait du corps de la Bête, inerte. Se penchant vers elle, il constata qu’elle respirait toujours et un sourire se dessinait sur son visage. Ce monstre avait donc survécu. Et le plus intéressant c’était que son bras perdait ses poils rétrécissait, devenant…humain. Tout ça devenait vraiment…

« Fascinant ! Tu as survécu à…Quoi, une dizaine de balles ? Une vingtaine ? »

Tout en arrachant un morceau de la manche de son pardessus pour en faire un bandage au loup, l’homme au chapeau melon réfléchissait à ce qu’il pouvait être, à haute voix :

« La science n’est pas encore suffisamment avancée pour qu’un homme puisse en transformer un autre en loup. La magie ? »

Le Docteur marqua une pause dans son raisonnement. Il n’accordait que peu de crédits à la sorcellerie mais ce qu’il avait vu à Londres et ce qui se tenait sous ses yeux lui faisaient douter de tout ce qu’il avait appris ou croyait connaitre, en matière de sciences et de tout ce qui en découlait, de près ou de loin. La magie n’était peut-être qu’une science de plus, des algorithmes qu’il suffirait de maitriser pour que l’homme puisse manipuler le monde à sa guise.
Mais il était sur une autre piste, avec ce loup-garou. Il devait juste changer d’outil pour faire une prise de sang à l’homme-loup et continuer de le soigner. Il devait prendre ce qu’il avait dans la poche…Non. Il avait l’outil, mais il lui manquait autre chose.

Un autre coup de feu. Un autre impact de balle. En à peine une dizaine de secondes, le loup, incapable de suffoquer pour préparer ce qui allait arriver, implosa. Tout était fini. Paris n’était plus que vapeur. 

Chapitre 5
L’évolution est un principe refusé par le plus grand nombre mais admis par l’élite de la société. Les meilleurs scientifiques et philosophes de l’Empire-Uni et d’ailleurs avaient passé la deuxième moitié du dix-neuvième siècle à essayer de comprendre et de démontrer ce procédé. En effet, malgré la simplicité apparente de la chose, l’amélioration progressive d’un être humain, animal ou végétal, sur un plan physique ou mental était extrêmement complexe. Les changements dus à l’évolution, sont dans la plupart des cas définitifs, mais surtout rares et terriblement longs. A l’inverse, la révolution est un phénomène fréquent poussant l’homme d’un premier point à un second par une suite de faits liés entre eux par un raisonnement théoriquement logique, pour au final revenir au point de départ. On pourrait résumer plus simplement en expliquant qu’en évoluant, l’homme va de l’avant alors que lors d’une révolution, il tourne en rond. 

La créature qu’on appelait « la Bête du Gévaudan » était en réalité une évolution de l’humanité, un stade supérieur, à mi-chemin entre l’être humain et le loup vers lequel auraient pu se tourner l’ensemble des hommes, pouvant même développer plusieurs races d’hommes-animaux. L’homme serait à terme devenu le Mutant décrit par les biologistes adhérents aux théories de l’évolution, si tout ça c’était passé autrement. Mais la Révolution Corse, malgré ses apparentes conséquences positives comme l’accession d’une femme au pouvoir et de véritables réformes pour les conditions humaines, les Français étaient restés des animaux, des êtres ayant peur de l’inconnu et chassant ce qui les effrayait. Cela étant, la France n’était pas un cas isolé et habitants de l’Empire-Uni auraient agi de la même façon. 
Ce monde est une cause perdue.

Telles étaient les pensées sombres occupant l’esprit du Docteur Hine qui attendait passivement, assis dans une gare parisienne, le regard vide, les mains croisées, n’ayant comme compagne que la mort et le désespoir.

« Docteur, vous allez bien ? »

Encore cette voix, toujours cette voix aigüe et suscitant désormais une haine incommensurable. Matt releva la tête, regardant Azéline droit dans les yeux. Il ne savait pas ce qui le retenait de la frapper, encore et encore jusqu’à ce que la vie n’abandonne son corps, pour déclencher une nouvelle guerre de cent ans, qui durerait un peu plus longtemps mais qui s’achèverait mathématiquement sur la victoire de l’Empire. Une certaine décence sans doute. Il se contenta de répondre tout en écartant les bras :

« Je n’ai perdu aucune partie de mon corps, tout va bien. 
- Ne donnez pas dans le cynisme. »

Hine se leva, pointant du doigt ce qui était aux yeux des badauds attendant le train à vapeur, sa compagne, venue enclencher une scène de ménage. 

« Je ne suis pas cynique. Si je n’avais pas pris soin de diminuer la puissance de mon arme pour éviter que le carnage de Londres ne se reproduise, votre petite amie…
- La Reine.
- Reine ou pas, elle nous aurait tous tués. 
- Mais personne n’est mort. Vous êtes un héros. 
- Il est mort ! Le Loup est mort ! Je suis absolument tout sauf un héros. J’ai participé à un génocide. Partez, maintenant. Plus aucun humain ne m’adresse la parole aujourd’hui. 
- Vous ne vous considérez donc pas comme un humain ? »

Se rasseyant à défaut de répondre, le Docteur essayait de faire comprendre par la gestuelle à un homme situé à quelques mètres du « jeune couple » que sa « femme » était complètement folle. Evidemment, il se considérait comme un humain, le contraire aurait été ridicule, il en avait pour le moment toutes les capacités et contraintes physiques. Le problème venait du fait qu’il n’appréciait pas d’être au contact avec ses semblables. Cependant, il ne se considérait pas meilleur qu’eux, même pas intellectuellement. Il pensait juste autrement, essayant d’avoir une vue d’ensemble de chaque situation, de ne pas penser qu’à son propre confort, dans la plupart des cas. Ce qui ne le rendait pas infaillible – c’était même souvent l’inverse. Dans tous les cas, à la prochaine parole qui lui était adressée, témoins ou pas, il commettrait un meurtre.

« J’ai quitté la Direction de la Surveillance…
- Qu’est-ce que vous n’avez pas compris dans « Partez, maintenant. » ? répondit Hine de la voix la plus calme possible, tentant de masquer une rage exponentielle alors qu’il dégainait l’arme qu’il avait lui-même confectionné, doit-il s’était servi pour gagner une guerre, pour sauver Londres et qu’on lui avait emprunté sans son accord. Ses mains tremblaient, son visage était couvert de sueur. L’idée d’avoir tué une fois de plus le hantait. 
- Je suis partie Docteur, j’ai quitté mon poste, j’ai abandonné la Reine. fit Azéline, sûre d’elle malgré un léger balbutiement, se protégeant la figure avec un bras, comme si celui-ci pouvait réellement protéger son corps d’une balle qui implose à partir de la vapeur. »

Matthew  stoppa son geste et mit un temps à comprendre ce qu’elle voulait dire. Ca n’avait aucun sens. Et pourtant, pensant saisir, il laissait la haine disparaitre de son visage pour qu’un sourire puisse lentement se dessiner. Azéline quant à elle, essuyait des larmes, qu’elle voulait dissimuler. Sanglotant, elle commença :

« Je veux vous suivre dans vos aventures.
- Je ne vis pas d’aventures. Je suis un scientifique. 
- Je veux découvrir la science avec vous.
- J’étudie des sciences dangereuses. 
- Je n’ai pas peur du danger. Et si je vous laisse voyager seul vous allez encore vous faire voler votre pistolet. »

Azéline marqua une pause pour saisir le couvre-chef du britannique avant de regarder le sol.

« Chapeau melon et bottes de cuir, ça ferait un bon nom d’équipe, non ? »

Un bruit strident. Le train était là. Récupérant ce qui lui appartenait, Hine sourit suivi par sa nouvelle compagne. 

« Si. Mais pourquoi pas les Vengeurs ? »

Lui-même le savait. En ce jour, alors qu’il choisissait de travailler en équipe, d’accepter le contact quotidien d’une jeune femme, il n’évoluait pas, car personne ne change vraiment, surtout pas lui. Il entamait juste sa propre révolution. 


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