vendredi 8 novembre 2013

Prose : Doctor Hine - La Tour, le Fou et le Docteur


DOCTOR HINE

La Tour, le Fou et le Docteur

par Maxime Saint Michel

Chapitre I
Londres, janvier 1903.

Un homme au long manteau vert sortait d’un train, entouré de dizaines de soldats. Ils revenaient tous de l’Enfer, le sourire aux lèvres, même lui qui n’avait jamais tenu une arme de sa vie. Enfin, lui ne souriait pas, lui restait stoïque, il savait ce qui l’attendait maintenant qu’il était revenu : une réception en son honneur. Un rassemblement de bourgeois, glorifiant un massacre et la présentation des revenants à un nouveau monarque soi-disant prêt à toutes les réformes du monde, alors que lui voulait juste s’éloigner de sa patrie pour oublier ce qu’il avait vu, faire un détour par le port d’Amsterdam, y croiser des marins. De toute façon il n’irait pas à cette réception, il avait l’intention de se cacher dans un pub de la capitale et tant pis si on remarquait son absence et qu’il n’était pas nommé chevalier, il y survivrait.

Au même moment, dans un bar de Londres, étrangement propre pour un établissement où étaient censés se réunis des exclus de la société venus noyer leur chagrin, un homme à l’accoutrement quelque peu anachronique, accoudé au comptoir attirait dangereusement l’attention vers lui. Il ne faisait rien particulier, c’était à cause de l’aura qu’il dégageait, sa façon d’agir, de vérifier si son feutre était correctement en place et que sa cravate était bien nouée tout en tremblant montraient que sa place n’était pas ici. En effet, il n’était pas censé être là et il n’en avait pas particulièrement envie. Mais il le fallait. Aujourd’hui était un jour important car aujourd’hui il était chargé d’accomplir sa première mission pour le Grand Patron. Une tâche dont il était fier mais impliquant des responsabilités qui ne faisaient qu’amplifier son anxiété.

Soudain, un homme à la démarche lourde entra dans la taverne. Tous les regards se tournèrent vers lui, délaissant l’homme à la cravate qui le dévisagea, ne comprenant pas celui-ci suscitait tant d’agitation. Trainant sa veste verte, il avança lentement vers le comptoir, sans prendre le temps d’observer un quelconque client. Evidemment, il était conscient que son arrivée intriguait et fascinait tous les gens présents, à commencer par le tavernier qui était ce qui se rapprochait le plus d’un ami pour lui. Il posa son chapeau melon et choisit de briser ce silence de mort.

« Qu’est-ce qui t’arrive, Will ? On dirait que tu as vu un revenant.
- Tu n’es pas censé être au palais de Buckingham ?
- Et toi, tu n’es pas censé me servir un café ? 
- Content que la guerre n’ait pas changé tes habitudes concernant l’alcool. »

Le tenant du pub se tut et exécuta sa tâche, le sourire aux lèvres, content que ce qui pouvait s’apparenter à son client préféré soit de retour. Un peu de répartie et de prestige ne ferait pas de mal à l’établissement. L’homme à la cravate, plus que perturbé et d’une curiosité maladive, ne tarda pas à se rapprocher du nouvel arrivant et d’essayer d’engager la conversation d’un ton plus moins assuré. Ca lui permettrait de patienter avant que sa mission ne commence. D’être moins anxieux avant l’heure du premier affrontement.
« Vous…vous revenez d’une guerre ?
- L’intervention d’un Empire s’étendant sur quatre continents pour calmer les élans révolutionnaires d’un pays sous-développé, je n’appelle pas ça une guerre mais un massacre, monsieur…?
- Charles Foster.
- Parfait. Ce sera Charlie dans ce cas. Charlie, mon petit Charlie, tu n’as donc pas entendu parler de la Guerre des Boers enclenché par la Reine il y a quatre ans ? Tu es étrange.
- Je…je… 
- Allons, je plaisante. Tu dois être Français. En plus tu te permets de venir discuter avec un inconnu plus que sinistre dont tu ignores jusqu’au nom. Je m’appelle Hine. Matt Hine. Mais pour toi ce sera Docteur. »

Foster mit quelques secondes avant de pouvoir prononcer une nouvelle, le temps d’assimiler toutes les informations qui lui avaient été communiquées et de se remettre des émotions provoquées par la rencontre avec ce Docteur. Il dégageait une prestance énorme, c’était indéniable, à la fois cynique et sympathique. L’homme espérait que s’il était amené à le recroiser dans sa mission, ce serait en tant qu’allié et non en tant qu’ennemi, sinon ses chances d’avoir des problèmes étaient relativement élevées. 

Pas le temps d’en dire plus. C’était l’heure. Ca allait commencer. Il posa plusieurs billets sur le comptoir et serra la main de Hine avec ardeur.

« Eh bien Docteur, c’est un honneur de faire votre connaissance. Je dois y aller mais j’espère que nous nous reverrons. Tavernier ! Gardez la monnaie, la consommation de cet homme est pour moi. »

Ajustant une dernière fois sa cravate, Charlie sortit de la taverne et perdit peu à peu son sourire et la conscience que lui avait permis d’accumuler cet entretien. C’était imminent. Les paroles de l’homme en vert, amateur de caféine, lui avaient au moins permis d’en apprendre plus sur l’époque où il se trouvait et lui permettraient peut-être d’avoir un avantage stratégique dans le combat qu’il allait mener. Ce n’était plus qu’une question de minutes maintenant. Quelle que soit la guerre à laquelle ait fait face l’Empire-Uni, quels que soient les ennemis que le Docteur avait affronté, ni lui ni personne dans ce pays n’était prêt à ce qui allait arriver. Tout simplement parce que Charles Foster lui-même n’était pas sûr de pouvoir mener le front correctement. 
Chapitre II
Dans la nuit noire londonienne, un cercle lumineux d’un bleu profond apparut dans le ciel. Tous les regards étaient attirés par ce halo qui éclairerait la ville pendant quelques heures encore les rues de la capitale de l’Empire. Cependant personne ne prêta attention à cet homme, tombant littéralement du portail pour venir s’écraser violemment au sol…et se relever en frottant une joue légèrement rouge. Faisant craquer ses doigts et sa nuque, il souriait de la façon la plus psychédélique possible. A l’instar de Charles Foster, il savait précisément ce qui allait se passer ce soir. Ca avait commencé, sa présence en était le signe. 

Sorti de la taverne, les mains dans les poches de son long par-dessus vert, le Docteur Hine malgré l’impression de puissance et de supériorité qu’il essayait de dégager n’était rien qu’un humain, et comme tous les autres, son attention avait été captée par la lumière. Evidemment ce n’était pas forcément la même curiosité que tout le monde, c’était un intérêt purement scientifique, il se moquait complètement de la beauté du phénomène. De la lumière dans le ciel ? Une lumière artificielle ? 

« Une invention des chinois, sans doute. » murmura Matthew.

La Chine était d’ailleurs un des seuls pays que l’Empire n’avait pas encore essayé de conquérir, même si selon ses supérieurs, ça n’était plus qu’une question de temps. Cette théorie lui rappela qu’il ferait n’importe quoi pour ne pas prendre part à une nouvelle guerre, surtout pas en Asie. En revanche, les bruits de calèches et des policiers hurlant qu’il devait rester sur le bord de la route lui firent comprendre qu’il s’agissait d’autre chose qu’un divertissement venu de l’Est. 

Heureusement, il n’avait pas l’habitude de suivre les ordres…

Un quatrième coup dans la mâchoire. Une énième effusion de sang. Charles Foster était le premier arrivé sur les lieux et il était rapide. Beaucoup trop rapide pour que son adversaire ne puisse se défendre. S’il continuait à frapper avec autant de vitesse et de force, il finirait par le tuer, lui qui était pourtant tombé du ciel et en était ressorti sans une égratignure. Foster frappait pour tuer et en théorie aucun humain ne pouvait le faire.

« Tu…tu es comme moi. Mais tu n’es pas…Lui. 
- En effet, Il était trop occupé. »

L’homme du portail perdait peu à peu son souffle. Merde. Il lui suffirait d’une seule seconde de répit pour pouvoir reprendre le contrôle du combat. Tant pis, même s’il ne participait pas à la guerre, s’il n’était pas présent quand sa vengeance aurait été accompli, le plus important était que tout ça ait lieu. Cependant, il était triste en pensant qu’il avait passé ces quatre dernières années à préparer quelque chose qu’il ne pourrait jamais observer. Tant pis, son honneur restait sauve.

« AAAH ! »

Premier gémissement de Foster. L’occasion de placer un coup en traitre, dans l’entrejambe et de le pousser pour reprendre sa respiration, gagner du temps. Il souriait. Il n’avait pas encore perdu. Son visage couvert de sang commençait lentement à cicatriser tandis que ses os craquaient. Tout n’était maintenant qu’une question de calcul : attaquer, lutter contre la douleur, briser et achever le combat le plus rapidement possible. Malheureusement, il y avait une faille dans son plan :: il n’était pas la cause du gémissement. 

« Séparez-les ! Tenaient le mutant en joug ! »

En tout six policiers étaient arrivés sur les lieux pour « stopper un passage à tabac et éventuellement tenter de comprendre à quoi correspondait le halo lumineux. ». L’un d’entre eux avait tiré dans l’épaule de Charles Foster pour le calmer et deux autres l’avaient attrapé pour le retenir. Comprenant que la situation était beaucoup plus compliquée qu’elle ne devait l’être avec la régénération de l’autre type, les quatre autres l’avaient encerclé. Alors que le concept même de mutant n’était qu’une légende urbaine inventée par des adeptes de Charles Darwin, ils étaient tous persuadés d’en tenir un.

« Trouvé, Charlie. »

Foster n’y croyait pas. Cette voix, c’était celle de Hine. Il était suffisamment fou pour l’avoir suivi jusqu’ici ? Pourquoi ?

« Vous n’auriez pas dû venir, Docteur.
- Bien sûr que si, Charlie, sinon qui allait se porter garant d’un étranger , sortant d’un bar pour aller frapper un homme jusqu’au sang ?
- Pourquoi…feriez-vous ça ?
- Car je connais ta victime, petit. »
Chapitre III
Alors que le corps de la victime de Foster se recomposait lentement à travers des extensions tentaculaires, les mains de Hine et toute son âme tremblaient. Le spectacle auquel il était en train d’assister n’était tout simplement pas envisageable. Rempli d’une rage mélangée à l’effroi, il voulait saisir une arme mais il n’en avait pas la capacité. Il était tétanisé, paralysé, son esprit réfugié dans une intense réflexion était piégé dans un corps immobile. Le Docteur se remémorait des souvenirs d’avant-guerre, tandis qu’il faisait face à son égal, son rival, son meilleur ennemi. Il balbutia quelques mots, incompréhensibles, balayés par la vanité de l’autre qui allait réveiller sa répartie.

« Un commentaire à faire, Matthew ?
- Je constate que ton entrainement aux Amériques n’a pas été très bon pour ton organisme, Smith. »

Le  rire de l’home résonnait partout dans Londres. Les souvenirs qu’il partageait avec Hine ne lui faisaient plus aucun effet, plus rien d’ailleurs ne pouvait lui faire ressentir des émotions, si ce n’était l’accomplissement de sa vengeance. Pas une vengeance contre ce pathétique humain mais une vengeance qui dépassait la race humaine, et l’Empire-Uni lui-même. Ses mains devenaient des lames visqueuses se plantant dans le sol, son regard de vidait, il devenait un monstre, le miroir d’une folie qui l’habitait depuis sa naissance. 

Les policiers tentèrent une action désespérée, vidant leur chargeur. Sans effet. 

« Pour toi, Matt, c’est Lord Smith.
- Docteur ! » 

C’est en hurlant que Charles Foster se jeta sur le l’homme au manteau vert, le plaquant au sol, espérant s’être jeté suffisamment loin de son ancien ami pour esquiver ce qui allait suivre. Car lui savait. Il était en connexion indirecte avec Smith et ceux qui allaient arrivés. Et dans un élan de courage et un profond manque de réflexion il avait mis en péril la réussite de sa mission pour sauver un unique humain. Son patron n’allait pas être fier de lui quand il reviendrait…s’il revenait. 

« Je dois y voir quelque chose de personnel, Charlie ?
- Par pitié Docteur, taisez-vous. »

Hine s’exécuta, comprenant la gravité de la situation, comprenant que c’était un silence de mort qui allait régner. Et c’était l’ultime discours de Smith qui allait le déclencher :

« Stupides officiers trop zélés ! Vous auriez dû me laisser mourir aux mains d’un héros, mais vous avez choisi de me sauver….Vous y perdrez votre monde….Et vos vies ! »

Sur ces mots, la terre se mit à craqueler sous les hommes de loi qui encerclaient le monstrueux Lord. Ils étaient terrorisés et tentaient de fuir mais ils étaient retenues par une force étrange qui semblait utiliser la gravité à son avantage. Charles et le Docteur purent observer la scène, stupéfaits, essayant de retenir des cris mais poussant quand même de légers gémissements. 

Des tentacules noires et imposantes, reliées à Smith sortirent du sol et violentèrent les policiers : l’un d’entre eux fut transpercé, vidé de son sang en à peine quelques secondes, un autre finit tout simplement broyé après que la tentacule se soit enroulée autour de lui et ait appuyée suffisamment fort pour lui dissoudre les os. Les autres furent saisis par les monstrueuses parties et jetées contre des bâtiments dont il ne resterait bientôt plus que des débris. Aucun survivant, en comptant bien sûr ceux qui avaient encore la possibilité de respirer mais qui ne seraient bientôt plus que des cadavres, ensevelis sous les ruines.

Hine se releva difficilement, aidé par Foster qui l’incita à fuir. Mais il n’en fit rien. Il ne voulait pas partir, il voulait rester là pour pouvoir observer et comprendre ce qu’était réellement devenu Smith depuis la dernière fois qu’il l’avait vu, avant de partir en guerre, quand lui avait été envoyé au Nouveau Continent pour surveiller et former les troupes de l’Empire. Mais ce qui l’intriguait plus encore, c’était ce qu’étaient ces créatures qui proliféraient maintenant depuis la fente terrestre et le portail mais également quelles étaient leurs objectifs si elles en avaient. La construction d’une grande roue à cet endroit précis n’aurait sans doute pas été une bonne idée. 

« Alors c’est ça, La Guerre des Mondes ? »
Chapitre IV
« Une influence de Starcraft ? Non, Lovecraft, c’est ça ? J’ignore qui il est, je ne lis pas les contes pour enfant. Ce qui est en train d’arriver est l’exemple même de ce qu’écrit Herbert-Georges Wells. Ces créatures, c’est ce que sera l’humanité dans une cinquantaine d’années.
- Docteur, je pense qu’il n’est pas temps de débattre de littérature.
- C’est toi qui a commencé, Charlie. »

Les deux hommes couraient dans les rues de Londres. Hine ne pouvait se retenir de parler, capable d’aborder n’importe quel sujet tout en restant cohérent, pour oublier qu’il avait peur. Une dizaine de minutes s’étaient écoulées depuis la mort des policiers. Des restes humains jonchaient les trottoirs, du sang frais, noirci par des résidus de chair tapissait les murs des bâtiments. 

Les survivants fuyaient. C’était vraisemblablement le seul moyen de survivre à l’attaque de ces…choses, même si ce n’était qu’un sursis et que si personne ne tentait rien, la capitale ne serait bientôt plus qu’un amas de ruine couvert de cadavres. Matt avait cependant bien compris que rester en compagnie de Charles Foster lui assurait une certaine protection. Malgré son apparence chétive et fragile, cet homme était quelqu’un de fort, quelqu’un de brillant, presque surhumain. Il l’était d’ailleurs sûrement, car s’il n’était pas surhumain il ne prendrait pas le risque de se précipiter dans les plus sombres recoins de la plus grande et dangereuse ville de l’Empire-Uni, tout en faisant signe au Docteur de le suivre, certain que les voies qu’ils empruntaient les éloignaient des monstres. 

Mais trouver où se cacher n’allait pas tarder à devenir compliqué. Les êtres surnaturels couvraient une trop large surface et une partie d’entre eux prenait d’assaut le palais de Buckingham. Si le Roi survivait à cette folie l’Histoire se souviendrait de lui comme du premier monarque à avoir subi les changements du vingtième siècle. Il était dommage par ailleurs qu’aucun moyen de communication ne puisse retransmettre en direct les images et les sons de ce qui était en train de se passer. Le monde ne saurait que demain que Londres était tombée, que Londres était prise par ces…

« Liktalzzz. fit Foster, essoufflé.
- Comment Charlie ?
- Ces créatures. Ce sont des Liktalzzz. La pire chose qui puisse exister dans l’ensemble du Multivers, après mon patron. Ca dépasse cette ville, ça dépasse cet Empire, ça dépasse ce monde. Il faut les arrêter maintenant Docteur. 
- T’en n’as pas les moyens ? »

Charles était assis, le dos contre un mur dans une minuscule ruelle de Londres, tentant de reprendre son souffre. Bien qu’il ait conservé l’avantage tout au long de son combat contre Smith, ce dernier suivit d’une course pour sauver sa vie et celle de l’humain l’avaient épuisé. Il ignorait combien de temps il pourrait encore tenir. 

Le mur derrière lui se fissura avant de se briser complètement pour laisser apparaitre un Liktalzz. En une fraction de seconde son bras était devenue une lame qui lui servit couper en deux son assaillant. Matthew applaudit machinalement, fasciné par cette scène. 

« Je peux les tuer un par un. Mais nous n’en avons pas le temps. Il nous faudrait une arme de destruction massive. »

Le Docteur se prit la tête entre ses mains, perplexe. Si même Foster ne pouvait les arrêter alors qui le ferait ? Il avait peut-être quelque chose qui pourrait…Non, non, c’était impensable. Plus jamais il ne devait s’en servir, c’était une promesse qu’il s’était faite, trop de vies avaient été prise à cause de ça. Il devait trouver une solution rapidement avant que son compagnon ne lui meurt dans les bras. Peut-être pouvait-il rompre sa promesse ? Il n’en avait pas le droit, pour l’Empire il était devenu un monstre traité en héros et il se devait de renoncer à ce type de vie. Mais cette situation ne concernait pas l’Empire, elle concernait une entité beaucoup plus grande et beaucoup plus puissante que l’Empire seul. S’il ne survivait pas à cette nuit il ne pourrait jamais en apprendre plus sur cette entité. Il pouvait bien se salir les mains une dernière fois pour sauver sa propre vie et un milliard d’autres ainsi que sa curiosité intellectuelle. Le choix était maintenant fait. Le plan de secours concordant avec ce choix se mit en place rapidement. C’est décidé et rempli d’un espoir étrange qu’il tendit la main à Charles pour l’aider à se relever avant de lui ordonner d’une voix lourde :

« Amènes-moi en haut de Big Ben. » 
Chapitre V
Le Docteur Hine était debout en haut de la Tour de l’Horloge, surplombant Londres, la contemplant, elle et les horreurs qui la parcouraient, le sourire aux lèvres, malgré lui. Il ne pouvait pas faire abstraction de ce sentiment de puissance qui l’envahissait alors qu’il était au-dessus de tout, qu’il tenait le destin de tout un univers entre ses mains. C’était presque jouissif mais la pression était grande,  vivre ça trop souvent finirait par l’ennuyer.

Charles Foster courait, prenait dans ses bras les survivants et ordonnait à tous de se mettre à l’abri, leur expliquant qu’ils allaient être sauvés mais que le sauvetage s’avèrerait être aussi dangereux que les créatures elles-mêmes. Ce n’était pas son idée, ce n’était pas les ordres de son véritable patron mais ces détails n’avaient pour le moment plus aucune importance. Il ne savait pas si c’était sa nature humaine qui l’avait rendu comme ça ou si le Docteur et son altruisme refoulé y étaient pour quelque chose mais il voulait réellement sauver autant de vies que possible. 

La Tour était suffisamment avancée, le Cavalier pouvait maintenant attaquer pour prévenir de l’échec au Roi et mettre l’ennemi échec et mat en sacrifiant quelques pions au passage. Encore fallait-il cependant que ce Cavalier en ait le courage. 

Des images sombres et sanglantes qui hantaient encore ses nuits vinrent perturber Matthew alors qu’il sortait doucement une arme de la poche de son long pardessus vert. Il n’avait pas fait que sauver des vies en Afrique du Sud, il en avait pris énormément en testant des prototypes. Tel était le marché qu’il avait conclu avec l’Empire. Il avait aidé à remporter une guerre – à perpétrer un massacre – et il allait le refaire. Mais les choses étaient différentes, les dommages collatéraux sans être forcément plus importants allaient avoir une plus grande visibilité. Après ça, si ses compatriotes avaient un peu de sens moral, ils lui en voudraient à vie et le forceraient à s’exiler comme un héros dont on devrait taire le nom. Jamais plus il n’aurait à rendre de compte à l’Empire. S’il sauvait la capitale, il deviendrait paradoxalement un ennemi d’état, il serait enfin libre, libre comme il ne l’avait jamais été depuis sa naissance. Plus question de se demander quoi faire. 

Lentement, profitant une dernière fois de ses instants de suprématie, Matt pressa la détente de son pistolet à forme étrange, conçu pour remplacer à terme toutes les armes à distance, pour remporter toutes les guerres, s’il n’avait pas décidé que l’unique exemplaire qu’il ait fabriqué soit à lui en raison de sa violence et de son potentiel destructeur. Une seconde après qu’il ait appuyé, une balle pénétra un Liktalzzz situé à une dizaine de mètres de lui qui, comprenant qu’il était en danger, chercha à se rapprocher des siens. Il se mit à suffoquer, avant d’imploser, laissant sortir de son corps une énorme quantité de vapeur, le déchirant et emportant ses semblables et les bâtiments aux alentours. L’explosion fut massive. La vapeur se dissipa quelques minutes plus tard, ne laissant que des ruines, des cadavres de monstres et un Docteur tombant de la plus haute Tour de Londres suite au choc…

Dans sa chute, Hine continuait de sourire. Il savait qu’il avait sauvé le monde tout en prenant de l’argent à un pays qui l’avait toujours exploité. Il ne regrettait rien, même pas le fait de ne jamais avoir trouvé l’amour, ne l’ayant jamais vraiment cherché. Dans l’idéal il aurait voulu voir un peu plus de choses, observer les changements du vingtième siècle, y prendre part. Mais tant pis, ce serait au tour de quelqu’un d’autre, lui aurait juste le droit de venir hanter les mauvais scientifiques. Il espérait juste que sa création ne tomberait pas entre les mains du gouvernement quand on viendrait fouiller sa dépouille sans vie. 

Préparé à l’idée de la mort, sans la comprendre réellement, il fut surpris lorsqu’il vit cet homme au feutre et à la cravate, ayant pris beaucoup d’assurance depuis leur première rencontre, sauter pour le prendre dans ses bras et lui éviter de s’écraser lamentablement. 

« Me…Merci, Charlie.
- J’ai fait ça pour éviter de tâcher le sol, Docteur. 
- Tu as une meilleure répartie que je ne l’aurais cru.
- J’ai eu un bon entraineur. »

Ce qui surprit Hine encore plus que le Retour de Foster, c’était l’arrivée d’une foule menée par le Roi venue l’acclamer, lui, le sauveur de Londres. Soit il s’était trompé dans ses calculs, soit son arme n’avait tué aucun homme, soit il avait surestimé la morale des londoniens. La deuxième solution était la plus rassurante mais il pensait que la bonne était la troisième. Il ne pouvait pas rester ici, sous toute cette pression, il n’était pas prêt à être un héros.

« Charlie. Fuis. »

Quelques minutes plus tard, le Docteur faisait face à Charles dans son salon. Il avait préparé du café mais sentait qu’il serait le seul à en boire. 

« Et maintenant Docteur, qu’allez-vous faire ? 
- J’ai le choix. Soit je deviens un chevalier avec tout le prestige qui suit le poste et je remporte des batailles pour l’Empire tous les jours sauf les dimanches et les jours fériés, en me servant d’armes basée sur la vapeur qu’on m’aura forcé à concevoir pour toute l’armée…
- Soit ?
- Soit j’abandonne tout. Je pars en voyage en Europe, à la recherche de créatures semblables aux Liktalzzz, d’orphelins à secourir, de veuves à consoler. 
- Devenez chevalier. »

Le ton de Foster était autoritaire. Il s’était forcé à l’être, il n’avait pas le droit de laisser un humain faire son travail sans qu’il ne soit approuvé par Lui. Il se doutait cependant qu’imposer une contrainte au Docteur n’était pas le meilleur moyen de s’en faire un ami. 

« Tu te sers de moi pour assouvir tes desseins et quand je veux protéger l’univers tu me demandes de retourner à ma vie d’avant ? Tu te moques de moi ?
- Ce n’est pas moi qui le décide, Docteur. 
- Qui alors ?
- Lord Corlatius. Mon Patron. »

Un portail apparut derrière l’homme au feutre.

« Ce qui est arrivé à votre ami Smith, c’est Lord Corlatius qui en est la cause. Il pourrait vous infliger la même chose, voire pire si vous tentez de l’imiter. Pensez-y. Quand vous voudrez partir chasser des sorcières pour oublier vos propres démons  que ce nom résonne en vous comme une malédiction, une épée se balançant au-dessus de votre âme et pouvant s’abattre à tout moment : Lord Corlatius… Bonne année, Docteur. 
- Qu’il vienne ! Il ne me fait pas peur ! »

Avant même qu’il n’ait commencé sa phrase, Matthew Hine était seul dans son salon, le portail s’était refermé. Charles Foster avait soudainement baissé dans son estime mais sa rencontre avec lui et le combat contre les Liktalzzz avaient radicalement changé sa vie. Une confrontation avec Lord Corlatius était un maigre prix à payer pour pouvoir faire ce dont il avait envie. Et puis, Foster avait involontairement fait une remarque intéressante : Smith avait mystérieusement disparu avant le début des hostilités, il y avait de grandes chances qu’il soit toujours vivant…Autant dire que le Docteur Hine n’était pas prêt de retirer son chapeau melon. 

« Il parait que l’Europe est plus sympathique à visiter que l’Afrique du Sud. »

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